ChoLon, usines à rêves de Saigon
Les conséquences historiques du renversement de la dynastie Ming par la dynastie Qing dans la Chine du XVIIe siècle ont conduit les loyalistes Ming à chercher refuge en Asie du Sud-Est. Au Vietnam, ces immigrants chinois ont joué un rôle de pionnier lors de la « Marche vers le Sud ». Ils s’installèrent à Bien Hoa. À la fin du XVIIIe siècle, pour échapper aux massacres perpétrés par les troupes Tay-son, la communauté s’est regroupée dans l’emplacement actuel de Cholon, situé à 11 kilomètres du centre de Saigon, relié par un arroyo.
Dans le fertile delta du Mékong, Cholon est devenue la plaque tournante du commerce du riz, ouvrant le port de Saigon au commerce international à travers l’Asie du Sud-Est, du sud de la Chine à Hong Kong et Singapour.
“Les coureurs trottèrent sur la berge de l’arroyo chinois, encombré de sampans et de jonques, puis gagnèrent le bord du Donaï et prirent le pas. Des navires accostés débarquaient leurs marchandises, et des coolies couvraient de prélarts les amas de caisses et de tonneaux. Cela sentait l’odeur des ports maritimes, poussière, céréales et goudron; “
— Les civilisés de Claude Farrère (1905)
À partir de 1862, dans le cadre de son expansion en Asie et en Chine, la colonisation française renforce les privilèges de la communauté chinoise de Cholon. L’espoir était d’exploiter leur vaste réseau de vente. Cholon, la ville jumelle de Saigon, a finalement surpassé sa sœur en taille et en population. De plus, le commerce de l’opium, contrôlé par l’administration française, a joué un rôle important, impliquant tous les acteurs, intermédiaires et consommateurs de Cholon.
« Usines à rêves »
Le pouvoir occulte de Cholon ne pouvait qu’enflammer l’imagination des écrivains et de leurs lecteurs. Pour eux, cette banlieue de Saigon est devenue un lieu incontournable de vie nocturne et d’activités ombragées. Au fil du temps, cette image de ville débridée n’a guère évolué de l’époque française à la période américaine, atteignant presque un statut mythique.
Le succès du célèbre roman « L’Amant », écrit en 1984 par l’écrivaine française Marguerite Duras, doit beaucoup à cette atmosphère captivante. Les liaisons entre l’héroïne et son amant, un riche marchand chinois, se déroulent dans le décor torride de Cholon.
Les films et adaptations cinématographiques se déroulant à Saigon ont invariablement un lien avec Cholon. Il semble impossible de créer une histoire sans ce lieu, car elle serait incomplète. Dans le livre « The Quiet American », écrit en 1955 par l’auteur britannique Graham Greene (qui a également connu deux adaptations cinématographiques), Fowler tombe amoureux de Phuong, une ancienne taxi-girl de l’Arc en Ciel, le plus célèbre salle de danse pendant la guerre américaine.
Plus récemment, le livre « Chinatown » (2009) du romancier vietnamien Thuan explore cette ville sous un angle différent. L’histoire (d’amour) se déroule pendant la guerre sino-vietnamienne, époque où de nombreux Chinois ont été expulsés du Vietnam.
L’auteur met ainsi en évidence l’ambivalence de l’intégration de la communauté chinoise dans la société vietnamienne.