Air Vietnam, la création de la compagnie aérienne en 1950
AIR VIETNAM
La nouvelle société vietnamienne de transports aériens poursuivra l’œuvre féconde des compagnies françaises.
par MAURICE LEMOINE, secrétaire général d’Air France
Article paru dans Air France Magazine – 1950
La presse a annoncé récemment la constitution à Saigon d’une société vietnamienne de transports aériens : la Société Air Vietnam. La nouvelle entreprise exercera son activité dans les États associés et assurera les relations du Vietnam avec les pays voisins. Cependant, son apparition ne marque pas, pour l’immédiat du moins, un développement du transport aérien indochinois, car elle ne fait que continuer les services qui étaient, lors de sa constitution, exploités par Air France.
Elle est l’une des premières entreprises commerciales du jeune État qui associent les intérêts français à ceux du gouvernement. vietnamien. Ce dernier y détient la moitié du capital, l’autre moitié se trouvant répartie entre divers actionnaires français, au premier rang desquels se trouve Air France. A de multiples points de vue, cette création d’Air Vietnam est digne de retenir l’attention.
Le transport aérien a pris en Indochine au cours de ces dernières années un développement qu’expliquent aisément l’étendue des territoires et la précarité présente des transports de surface. La compagnie Air France, agissant pour le compte du haut-commissariat, ainsi que diverses entreprises privées ont été amenées en conséquence à multiplier des services qui se sont affirmés être, dans l’ensemble, d’une rentabilité satisfaisante.
Les perspectives d’avenir étant favorables, il était naturel que les jeunes États associés, soucieux d’assumer pleinement leur rôle, participassent au fonctionnement de services essentiels à la vie du pays. La France, pleinement consciente du fait, les a bien vite encouragés dans cette voie. On aurait pu songer à créer de toutes pièces une entreprise nouvelle qui serait venue s’ajouter à celles déjà existantes. Diverses raisons déconseillaient cette solution.
Je me bornerai à en indiquer une, à elle seule déterminante. La formule aurait entraîné un excédent du potentiel de transport sur les besoins, imposant ainsi une stérilisation partielle des moyens. Elle ne pouvait être retenue. Un rachat pur et simple par les États associés des exploitations n’était pas non plus satisfaisant. Sans compter qu’il aurait nécessité un accord de tous les exploitants on ignore s’il aurait pu être obtenu — il impliquait, de la part des États associés, des investissements immédiats très importants et peu en rapport, semble-t-il, avec leurs disponibilités. Autre inconvénient majeur, il éliminait les éléments ayant une expérience des transports aériens, privant ainsi la nouvelle affaire de concours précieux.
La méthode la meilleure était, sans doute, celle finalement retenue pour la constitution d’Air Vietnam. Les anciens exploitants français sont associés à l’affaire à laquelle ils font apport en nature de matériel aéronautique et d’exploitation, le surplus du capital étant souscrit en numéraire. Pour limiter toutefois le montant de ce capital, et par là les charges financières du Vietnam, la jeune société fait pendant une première période appel, pour son fonctionnement, à certains concours extérieurs et plus particulièrement à celui d’Air France.
Ne trouvant pas encore parmi ses nationaux tous les personnels qualifiés nécessaires, elle se décharge sur la Compagnie nationale de la plupart des tâches techniques, système qui la dispense en même temps de l’obligation d’acquérir sans délai des installations industrielles onéreuses. En outre, pour l’exécution de certains services exigeant l’emploi d’appareils long-courriers d’un prix extrêmement élevé, elle affrète au voyage certains avions d’Air France.
Dans la suite, au fur et à mesure qu’elle en aura réuni les moyens, la Société Air Vietnam assumera elle-même les diverses tâches qu’elle doit aujourd’hui demander à d’autres d’effectuer pour son compte. L’administration et la direction de la Société posaient un problème.
La Société opérant au Vietnam, l’actionnaire principal étant l’État vietnamien, il était dans l’ordre des choses que la présidence fût dévolue à un administrateur vietnamien choisi par son gouvernement. Le jeune État désirant aussi que le directeur des services fût un de ses nationaux, satisfaction lui fut donnée. Cependant, présidence et direction étant entre les mains de ses représentants, il fallait éviter que la conduite de l’affaire fît une place trop large aux préoccupations de politique générale au détriment des exigences d’ordre technique et commercial.
Au surplus, il était indispensable que parmi les raisons motivant la participation des anciens exploitants français celles dictées par leur compétence technique et leur expérience pussent trouver un moyen d’expression efficient. Ce sont ces considérations qui ont, fait soumettre l’administration et la direction de l’affaire à un régime particulier conçu dans le but d’harmoniser au mieux l’action des divers participants.
A la tête de la Société se trouve un Conseil de dix membres, dont une moitié est désignée par l’associé vietnamien, l’autre moitié l’étant par les actionnaires français. Sous l’autorité de ce Conseil, l’administration de la Société est assurée par un président directeur général assisté d’un directeur, tous deux vietnamiens, et par un vice-président français désigné par les actionnaires français.
Comme dans toute société commerciale, le Conseil délègue ses pouvoirs au président directeur général, mais à l’exclusion de certains d’entre eux, qui doivent statutairement être délégués à un Comité de direction constitué par le président et le vice-président. En cas de divergence de vues au sein de ce Comité sur une question relevant de sa compétence, l’affaire est soumise au Conseil pour décision. D’autre part, en cas d’absence ou d’empêchement, le président est remplacé par le vice-président à la tête de la Société et par le directeur au sein du Comité de direction. Les pouvoirs dévolus au Comité de direction portent sur des problèmes généraux ou d’ordre technique et sont tels qu’ils n’entravent pas l’action du président directeur général dans le fonctionnement journalier de l’affaire et la marche des services.
Voilà donc le Vietnam possédant sa société nationale de transport aérien. Est-il besoin de souligner que cette entreprise naît pour lui dans des conditions exceptionnellement avantageuses ? Par son intermédiaire le jeune État recueille le bénéfice des expériences faites et des réalisations effectuées par les exploitants dont elle prend la suite. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler à ce propos que si, dans la période actuelle, le transport aérien a atteint un degré satisfaisant de rentabilité, il a été fortement déficitaire durant la très grande partie de la période de vingt ans au cours de laquelle Air France a exploité des services aériens en Indochine.
La création de la Société elle-même a été poursuivie avec le souci d’alléger au maximum les charges financières incombant au Vietnam. Les prestations diverses qu’Air France fournit à la jeune entreprise tendent au même but en même temps qu’elles remédient à l’absence actuelle, parmi les ressources du Vietnam, de divers moyens et du nombre de spécialistes indispensables. Pour l’entretien et la révision de ses matériels aéronautiques comme pour leur mise en œuvre, la jeune Société trouve à son service, sous forme de détachement ou par le jeu d’accords, tous les moyens nécessaires. Dans l’ordre commercial, elle trouve de même, dans de nombreux points, des agences organisées dont elle n’a plus qu’à prendre possession.
C’est très rarement qu’une entreprise voit ainsi ses débuts si grandement facilités. Les autorités françaises ont ainsi témoigné de leur volonté d’assister l’État vietnamien et de modeler sur cette réalisation leur vision des intérêts nationaux. La Société nouvelle, dont les dimensions et le potentiel s’inscrivent dans les limites du Vietnam et des États voisins, n’est pas conçue pour assurer des services long-courriers.
L’exploitation de pareils services entraîne des investissements considérables et, par suite, sous peine de très lourds déficits, exige une large assise commerciale appuyée sur de très importants réservoirs de trafic. Les conditions offertes à Air Vietnam ne répondant pas à ces données, il a été convenu entre son gouvernement et le gouvernement français, aux termes d’une déclaration conjointe en date du 18 juin 1950, que les relations aériennes entre le Vietnam et les territoires lointains — dont la France — seraient, pour une première période de quinze ans, assurées par Air France, à qui pourront être adjoints d’autres exploitants français. La coopération entre intérêts français et vietnamiens qui s’instaure dans Air Vietnam trouve dans cette disposition un prolongement favorable à sa réussite.
Est-il permis de porter un jugement sur l’avenir de la jeune Société ? Quant aux conditions ayant présidé à sa création, j’ai déjà souligné combien elles lui étaient avantageuses. Le choix heureux des hommes appelés à en assumer la direction ainsi que les accords conclus avec Air France constituent aussi des facteurs de réussite.
Restent les possibilités de trafic offertes à son champ d’activité. On peut, sans crainte d’erreur, affirmer qu’elles se présentaient sous des signes très favorables. De Saigon, siège de la Société et base d’opérations, partent, suivant un horaire fixe, des services sur Dalat, Nha-Trang, Tourane, Hué, Haiphong, Hanoi, Seno, Vientiane et Bangkok. En sus des services de la ligne long-courrier d’Air France, Paris-Saigon-Hong-Kong, Air Vietnam assure une liaison hebdomadaire entre ces deux dernières villes. Enfin, elle effectue des transports à la demande dont l’importance est loin d’être négligeable.
Pour faire face à ces tâches elle dispose de trois Douglas DC. 3 apportés par le Vietnam qui les avait reçus du haut-commissariat, de trois Bristol provenant, l’un d’un achat, deux d’apports en nature et, pour la desserte de Hanoi et de Hong-Kong, des appareils long-courriers et gros porteurs DC. 4 qu’elle affrète à Air France. Cette multiplicité de types de machines de capacité échelonnée et de conditions d’emploi diverses permet une adaptation des matériels à l’importance des courants de trafic. Elle est, sous cet angle, un élément propice à Air Vietnam.
Au cours de ces dernières années le volume du trafic aérien n’a cessé de croître dans les États associés. Le nombre de passagers transportés, qui était de 80.000 en 1948, de 139.000 en 1949, s’est élevé à 171.000 en 1950. Quant aux marchandises, le nombre de tonnes embarquées et débarquées est passé de 23.000 en 1949 à 33.000 en 1950.
Il semble bien que cette progression doive se poursuivre dans l’avenir. On objectera peut-être que ce trafic tire, pour une large part, son importance des circonstances actuelles. L’insécurité des routes et des voies d’eau amène à l’avion des passagers et des marchandises qui, en période normale, ne viendraient pas à lui. L’observation est certainement exacte, mais il est vrai que le retour tant souhaité de la paix provoquerait la reprise et l’intensification de nombreuses relations freinées ou suspendues aujourd’hui et qu’en fin de compte de ces deux phénomènes celui-ci l’emporterait sur celui-là. L’essentiel, d’ailleurs, est que l’avion demeurera, pour les États indochinois, un moyen de transport d’une haute valeur utilitaire.
S’il existe de remarquables réalisations dans les domaines de la route, du rail et de l’eau, il s’en faut de beaucoup que celles-ci tressent, sur l’ensemble des territoires, un réseau aux mailles serrées. Il s’agit là d’une situation durable, car la multiplication généralisée des tracés de surface dotés des ouvrages d’art nécessaires est incompatible avec les diverses données économiques. Dispensant de la construction de routes carrossables coûteuses où s’engloutissent les crédits, l’avion relie aux grands ports et aux grands marchés des centres de production jusque-là isolés ou accessibles avec peine et lenteur. L’emploi d’un matériel approprié permet de limiter l’effort d’infrastructure à la préparation d’une aire d’atterrissage et d’envol d’un prix de revient limité.
De même qu’à Madagascar, pour ne citer qu’un exemple, certaines exploitations agricoles ont elles-mêmes préparé le terrain sur lequel se posent les avions venant chercher leurs récoltes, de même, au Vietnam, diverses plantations, grâce à un même procédé, écoulent aujourd’hui leurs produits vers la mer et les centres urbains. Comme la preuve en est donnée tous les jours au Canada, en Australie, en Afrique centrale et, plus généralement, dans tous les territoires aux vastes étendues parsemées de grandes régions de très faible peuplement, l’utilisation de l’avion aura pour conséquence, dans les États d’Indochine, d’intensifier et même de créer des courants d’échanges entre régions jusqu’ici sans relations ou n’en entretenant que de très espacées.
Ce qui est vrai pour des régions précédemment isolées de l’accès à une vie économique élargie l’est aussi pour nombre de produits qui, faute de liaisons rapides, ne peuvent être transportés dans des conditions satisfaisantes et doivent être consommés sur place. Le transport par air leur permet de s’intégrer dans la circulation générale des produits.
C’est ainsi que, dès aujourd’hui, grâce à l’avion, la viande du bétail du Laos ravitaille le Vietnam tout comme la viande du Tchad ravitaille les régions côtières du Cameroun et de l’A. E. F. où le climat et les mouches tsé-tsé interdisent tout élevage de bovidés. Le lecteur de l’Europe occidentale non averti sera enclin, de prime abord, à penser que le prix élevé du transport par avion réduit beaucoup la portée des observations précédentes.
La grande majorité des produits ont une valeur leur interdisant de supporter le coût du fret aérien. En outre, en période normale, une sage prévision des besoins réservera pour la plupart des produits non périssables la marge de temps nécessaire à un acheminement plus lent mais beaucoup moins coûteux par des moyens de surface. Cette remarque est pleinement valable, mais il est essentiel d’ajouter que, dans les pays où l’infrastructure terrestre est peu développée, les prix des transports de surface atteignent fréquemment ou dépassent ceux des transports par air.
Les transports de surface comportent aussi, à un degré beaucoup plus fort, des risques de perte, de détournement ou de casse dont la garantie ne peut être obtenue que moyennant le versement de primes élevées, sans mesure avec celles pratiquées pour les transports par air. Prévoir un développement considérable des transports de marchandises par avion dans les États associés ne semble donc pas utopique. Le transport de passagers sera néanmoins longtemps encore, sinon toujours, l’objet principal de l’activité d’Air Vietnam.
Les statistiques de ce genre de trafic portant sur ces dernières années témoignent de sa progression rapide et de l’importance à laquelle il est déjà parvenu. Nul doute que ce développement n’aille s’amplifiant. L’éloignement respectif de certains centres ainsi que la lenteur et l’insuffisance des transports de surface en sont un gage certain.
On peut ajouter aussi que les populations du Vietnam et des pays voisins ne paraissent pas nourrir à l’égard de l’avion l’appréhension que l’on rencontre encore trop souvent dans les pays de l’Europe occidentale, et ce goût pour le voyage aérien ne peut que servir l’essor de la nouvelle Société. Comme je le mentionnais au début de ces lignes, les perspectives d’avenir qui s’ouvrent à Air Vietnam sont donc très favorables.
L’assistance que lui fournit Air France ainsi que le détachement à son service de personnels expérimentés doivent rendre pour elle plus aisés les débuts de son exploitation tout en lui ménageant les délais nécessaires à la bonne formation des éléments autochtones.
Il faut souhaiter à la jeune Compagnie un avenir qui réponde à toutes ces espérances et une prospérité allant croissant dans un pays rendu à la paix.
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COMME DANS TOUS LES PAYS TOUCHÉS DEPUIS PEU PAR LE PROGRÈS TECHNIQUE. L’AVION MODERNE VOISINE. AVEC L’ATTELAGE ANTIQUE
Cette jeune Vietnamienne semble apprécier le confort d’un des long-courriers « Constellation » qui assurent la liaison entre le Vietnam et la France.
Collation sur un courrier Saigon-Hanoi. Les passagers comme le personnel auxiliaire de bord sont en majorité vietnamiens.